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HISTOIRE DU PARNASSE

dédicace était d’abord précédée de quelques lignes sur la question du bien et du mal en poésie, Th. Gautier obtient de Baudelaire qu’il ne la publie pas, « parce qu’une dédicace ne doit pas être une profession de foi[1] ». Ce n’est pas un motif sérieux, c’est une défaite ; quelle était la vraie raison ? Modestie ? Pour que les camarades ne se moquent ? Crainte que Hugo ne se formalise ? D’aucuns ont cru que Gautier se défiait d’une ironie sournoise cachée sous un pareil éloge[2] ; l’erreur est bizarre, car cette dédicace n’est pas une attestation isolée de l’admiration de Baudelaire pour Théo : il l’a affirmée nombre de fois[3]. Une de ses conférences à Bruxelles commence par cette profession de foi, « Gautier, le maître, et mon maître », et se termine ainsi : « je salue en Théophile Gautier, mon maître, le grand poète du siècle[4] ». Cette fois, Théo craint bien que son admirateur ne lui attire quelque méchante affaire avec Hugo. Dans l’intimité, il raille cette manie qu’a Baudelaire de s’éterniser dans la Belgique, où il s’ennuie[5]. Publiquement, il parle de son compromettant disciple avec une sorte de contrainte. Dans Le Moniteur du 9 septembre 1867, il publie quelques lignes bien, froides pour un article nécrologique[6]. Dans son Rapport de 1868, il lui consacre sans doute huit pages, et, proportionnellement, c’est beaucoup, puisque V. Hugo n’en a qu’une dizaine ; mais on voit que Gautier marchande sa sympathie à Baudelaire. Il le trouve plus bizarre que vraiment puissant. Il a l’air de faire effort pour’admirer celui qui vient de mourir, et il n’y arrive pas. Gautier ne fait vraiment l’éloge de Baudelaire que dans la longue étude qui figure en tête des œuvres complètes ; encore profite-t-il de l’occasion pour refuser la couronne que lui avait si humblement offerte le fier Baudelaire : « il se forma entre nous une amitié où Baudelaire voulut toujours conserver l’attitude d’un disciple favori près d’un maître sympathique, quoiqu’il ne dût son talent qu’à lui-même, et ne relevât que de sa propre originalité[7] ». Si Baudelaire se fût proclamé pareillement disciple de V. Hugo, il eût été accueilli avec plus d’empressement. Mais Gautier considérait peut-être Baude-

  1. Crépet, Baudelaire, p. 104.
  2. L. Daudet, Études et milieux littéraires, p. 185. Pierre Flottes, Baudelaire, p. 18-19.
  3. Œuvres, III, 157, 187, 349.
  4. Crépet, Baudelaire, p. 251, 253.
  5. Asselineau, Ch. Baudelaire, p. 91.
  6. Portraits contemporains, p. 159-164.
  7. Œuvres de Baudelaire, I, 9.