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HISTOIRE DU PARNASSE

mode le sonnet, qui lui semble une quintessence d’art ; il en explique les beautés, la puissance, à Fraisse, le 19 février 1860 : « parce que la forme est contraignante, l’idée jaillit plus intense. Tout va bien au sonnet : la bouffonnerie, la galanterie, la passion, la rêverie, la méditation philosophique. Il y a, là, la beauté du métal et du minéral bien travaillés. Avez-vous observé qu’un morceau du ciel aperçu par un soupirail, ou entre deux cheminées, deux rochers, ou par une arcade, donnait une idée plus profonde de l’infini que le grand panorama vu du haut d’une montagne[1] ? » Boileau a été moins explicite, mais c’est une idée de Boileau que développe là Baudelaire, beaucoup plus classique qu’on ne pense[2]. Disciple de Despréaux, il suit, chose unique au xixe siècle, les conseils sévères de l’Art Poétique :


Aimez qu’on vous censure…[3]


Baudelaire, c’est la revanche de Boileau ; la poésie de Baudelaire ramène les Parnassiens au vers classique ; c’est cette influence, généralement ignorée, qu’Anatole France admire si profondément. Tandis qu’autour de lui certains de ses camarades aiment surtout dans Les Fleurs du Mal ce que Bourget appelle « ce bréviaire de psychologie morbide », France goûte les vers coulés dans le moule de Boileau ; cette résurrection de la facture traditionnelle lui apparaît surtout dans le sonnet à une dame créole :


Si vous alliez, Madame, au vrai pays de gloire
Sur les bords de la Seine ou de la verte Loire…


Il aime à répéter : au vrai pays de gloire, retrouvant dans cet hémistiche tous les prestiges du génie français, ravi par cette formule courte, à la fois simple et raffinée[4]. À l’école de Baudelaire les Parnassiens peuvent oublier les théories outrées de Th. de Banville sur la rime riche, ou apprendre à user de l’enjambement sans en abuser[5]. Il n’est pas jusqu’à son principal défaut de facture qui ne serve de modèle aux parnassiens : « son vers, dit Théo, d’une structure raffinée et savante, d’une concision parfois trop serrée,

  1. Lettres, p. 238.
  2. Crépet, Baudelaire, p. 258 ; Lettres, p. 493.
  3. Crépet, Baudelaire, p. 311 ; Lettres, p. 265.
  4. Baudelaire, I, 183 ; Bourget, Quelques témoignages, p. 13-14, 154-155 ; Junius, Écho de Paris du 20 novembre 1917 ; Sandor Kémeri, Promenades, p. 3-4 ; Rémy de Gourmont, Promenades, II, 85.
  5. Clair-Tisseur, Modestes observations, p. 181 ; {{sc|Cassagne, Versification, p. 48-51.