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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/108

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ma sœur.

vénère à l’égal d’une sainte, bien qu’une pénitence aussi dure paraisse à quelques-uns racheter, sans doute, une jeunesse criminelle.

Enfin arrive pour elle l’heure de la mort : toutes les religieuses s’assemblent autour de son lit ; la mère abbesse elle-même, quoique paralysée, se fait porter dans la cellule de l’agonisante. Voici le prêtre. Au nom du Christ, il relève celle-ci de son serment, et l’adjure de révéler son nom, et de confesser le crime si durement expié.

La mourante se soulève sur sa couche ; ses lèvres pâles semblent avoir perdu l’usage de la parole ; enfin, soumise à l’ordre de son confesseur, elle parle, et sa voix, éteinte depuis vingt ans, résonne sourde et lugubre :

« Je suis Édith, dit-elle avec effort, la fiancée du roi Harald. »

À ce nom maudit de tous les serviteurs de l’Église, les timides religieuses font un signe de croix. Mais le prêtre dit :

« Ma fille, vous avez aimé sur la terre un grand pécheur. Le roi Harald a été maudit par l’Église, il n’y a pas de pardon pour lui, il brûle dans le feu éternel ; mais Dieu a vu vos larmes, votre longue pénitence : allez en paix, un autre fiancé vous attend au ciel. »

Les joues pâles de la mourante s’animent ; ses yeux, qui semblaient morts, s’éclairent d’un feu passionné.

« Que ferais-je du paradis sans Harald ! s’écrie-t-elle, au grand effroi des religieuses qui l’entourent.