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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/107

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sophie kovalewsky.

un roman anglais, très exalté, lui tomba entre les mains ; il était intitulé Harald.

Après la bataille de Hastings, Édith au cou de cygne trouve parmi les morts le cadavre du roi Harald, son fiancé. Celui-ci a commis un parjure avant de mourir, et n’a pas eu le temps de se repentir ; le péché est mortel, il est damné. Depuis lors Édith disparaît, personne ne sait ce qu’elle est devenue : les années passent, le souvenir d’Édith est presque effacé.

Mais sur la rive opposée à la côte anglaise, s’élève, au sommet d’un rocher, entouré d’une épaisse forêt, un couvent célèbre par l’austérité de sa règle. Une religieuse s’y fait remarquer par sa grande piété et par le vœu de silence qu’elle s’est imposé. Elle ne dort ni jour ni nuit, et passe sa vie prosternée devant un crucifix dans la chapelle du couvent. Elle ne se montre que lorsque il y a du bien à faire, ou une souffrance à soulager. Personne ne meurt dans le voisinage du couvent, sans que la religieuse ne paraisse au chevet de l’agonisant, approche de son front ses lèvres scellées par le serment d’un éternel silence.

Nul ne la connaît. Une vingtaine d’années auparavant, une femme en noir s’est présentée à la porte du couvent ; après une longue et mystérieuse conférence avec l’abbesse, elle a été admise dans le monastère et y est restée. L’abbesse est morte depuis. La pâle religieuse est toujours là comme une ombre. On n’a jamais entendu le son de sa voix. On la