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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/120

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ma sœur.

Ilia s’acquitta aussi de cette commission. On peut imaginer le bruit que fit la sortie du jeune popovitch, non pas seulement chez nous, mais dans tout le voisinage.

Chose plus frappante encore, Aniouta, sitôt qu’elle apprit cet incident, accourut chez notre père sans être appelée, et, les joues brûlantes d’émotion, lui dit d’une voix entrecoupée :

« Pourquoi as-tu blessé Alexis Philipovitch, papa ? C’est très mal, c’est indigne d’insulter un garçon bien élevé. »

Papa la regarda avec stupéfaction. Son étonnement fut si grand, qu’il ne trouva même pas de paroles pour remettre cette impertinente petite fille à sa place. Au reste, cet accès de soudaine audace ne fut pas de longue durée, et Aniouta s’enfuit bien vite dans sa chambre.

Mon père, tout bien pesé, préféra ne donner aucune suite à l’incident et le prendre par son côté risible. Il raconta devant Aniouta l’histoire d’une princesse qui s’était faite la protectrice d’un palefrenier : la princesse et son protégé furent naturellement tournés en ridicule. Mon père était passé maître dans l’art de lancer des pointes, et nous redoutions fort ses plaisanteries. Mais, cette fois, Aniouta l’écouta sans sourciller, prit même un air insolent et provocateur pour protester contre l’insulte faite au fils du prêtre ; elle chercha à le rencontrer partout, soit en promenade, soit chez des voisins.

Un soir, au souper des domestiques, le cocher