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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/119

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sophie kovalewsky.

mais une action réflexe. Le pauvre prêtre désolé saisit son goupillon et aspergea son fils d’eau bénite.

Jadis, lorsque le jeune homme venait passer ses vacances chez son père, il ne manquait à aucune de nos fêtes de famille, et se présentait régulièrement pour nous saluer et manger de grand appétit le gâteau de fête, au bas-bout de la table, sans jamais se mêler à la conversation, ainsi qu’il convenait à sa position.

Cette année, il brilla par son absence à la première fête de famille qui suivit son arrivée. En revanche, il se présenta un jour qui n’était pas celui fixé pour les réceptions de mon père ; et au domestique lui demandant ce qu’il voulait, il répondit qu’il venait simplement rendre visite au général.

Mon père, ayant beaucoup entendu parler du « nihiliste », n’avait pas manqué de remarquer son absence le jour de sa fête, bien qu’il ne semblât prêter aucune attention à de si minces détails. Contrarié maintenant de l’audace de ce gamin, qui osait le traiter d’égal à égal, il voulut lui donner une leçon, et le domestique eut ordre de répondre : « Le Général reçoit les solliciteurs et ceux qui viennent pour affaires, le matin avant une heure ».

Le fidèle Ilia, qui comprenait toujours son maître à demi-mot, s’acquitta de la commission dans l’esprit où elle lui avait été donnée : il ne parvint cependant pas à intimider le jeune homme, et celui-ci s’en alla en répondant simplement :

« Tu diras à ton maître que je ne mettrai plus les pieds dans sa maison. »