Aller au contenu

Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/142

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
125
départ de l’institutrice.

ciers avaient été invités avec leur colonel à la fête donnée en l’honneur de maman ; pour nous faire une surprise, ils avaient amené la musique du régiment.

Le dîner était fini depuis deux ou trois heures ; dans la grande salle d’en haut, on allumait les lustres et les candélabres, et les invités, après s’être reposés et avoir changé de toilette, se rassemblaient peu à peu. Les jeunes officiers, serrés dans leur uniforme, introduisaient avec quelque peine les mains dans leurs gants blancs ; de vaporeuses demoiselles en robe de tarlatane, avec d’énormes crinolines, la mode du jour, tournoyaient devant les grands miroirs. Mon Aniouta, généralement hautaine avec tout ce monde, subissait l’ivresse de la musique, de la lumière, de tout l’ensemble de la fête, mais surtout du sentiment d’être la plus belle et la plus élégante. Oubliant sa nouvelle dignité d’écrivain russe, oubliant aussi combien ces petits officiers rouges et essoufflés approchaient peu de l’idéal de ses rêves, elle se mouvait au milieu d’eux, souriant à chacun, et jouissant de la conviction de leur tourner à tous la tête.

On n’attendait que mon père pour ouvrir le bal. Tout à coup un domestique entra et, s’approchant de ma mère, lui dit :

« Son Excellence se trouve mal, et prie madame de passer dans son cabinet. »

Tout le monde fut impressionné. Maman se leva, et, prenant sur son bras sa lourde traîne de soie, sortit aussitôt de la salle. Les musiciens, qui atten-