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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/146

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départ de l’institutrice.

l’un à l’autre, persuadant, raisonnant. Enfin mon père céda. Son premier pas dans la voie des concessions fut de consentir à écouter la lecture du petit roman d’Aniouta.

Cette lecture se fit solennellement. Toute la famille était rassemblée. Aniouta, comprenant l’importance du moment, lisait d’une voix tremblante d’émotion : la situation de l’héroïne, sa tentation de quitter sa famille, ses souffrances sous le joug qui l’opprimait, tout rappelait si vivement la situation même de l’auteur, que chacun en fut frappé. Mon père écouta en silence ; pendant la lecture, il ne prononça pas un mot. Mais quand Aniouta en vint aux dernières pages et, retenant avec peine ses sanglots, lut la mort de Lilenka et son regret, en quittant la vie, d’avoir passé une jeunesse inutile, de grosses larmes roulèrent dans les yeux de mon père. Il se leva et, sans rien dire, quitta la chambre. Ce soir-là, il ne parla pas à Aniouta de sa lecture ; il ne lui en dit même rien les jours suivants, mais il la traita avec une tendresse et une douceur extrêmes, et tout le monde comprit que la cause de ma sœur était gagnée.

Depuis ce jour en effet, une ère de clémence et de concessions commença pour nous. Le premier indice de cette transformation fut le pardon accordé avec bonté par mon père à la femme de charge, qu’il avait renvoyée dans un premier mouvement de colère. Le second acte de bonté fut plus frappant encore : mon père permit à Aniouta d’écrire à Dostoïevski, à la seule condition de montrer la lettre, et promit