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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/151

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sophie kovalewsky.

dation, il faut l’avouer ! Sois donc extrêmement prudente. »

Mon père avait exigé rigoureusement de ma mère qu’elle assistât à l’entrevue d’Aniouta avec Dostoiévsky, et qu’elle ne les laissât pas en tête en tête un seul instant. J’obtins aussi la permission de rester au salon pendant cette visite. Deux vieilles tantes allemandes, prétextant à chaque moment quelque raison d’entrer dans la pièce, pour regarder l’écrivain avec la curiosité qu’inspirerait une bête curieuse, finirent également par s’asseoir sur un divan, et par rester là jusqu’à la fin de la visite.

Aniouta, exaspérée de voir cette première entrevue avec Dostoiévsky, objet de tant de rêves, se passer aussi sottement, prit sa figure mauvaise, et garda un silence obstiné. Théodore Mikhaïlovitch, contraint et gêné dans cette société, intimidé d’ailleurs par toutes ces vieilles dames, avait l’air furieux. Il nous parut ce jour-là vieux et malade, comme toujours du reste quand il était de mauvaise humeur. Il tiraillait nerveusement sa barbe rousse et rare, se mordait les moustaches, et son visage semblait convulsé.

Maman s’efforça d’entamer une conversation intéressante. Avec son plus aimable sourire de femme du monde, mais visiblement intimidée et confuse, elle chercha quelque chose d’agréable et de flatteur à dire et des questions intelligentes à poser. Dostoiévsky répondit par monosyllabes, et avec l’intention évidente d’être grossier. Maman, à bout de ressources, prit enfin le parti de se taire. Après une