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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/152

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nos relations avec dostoiévsky.

visite qui dura bien une demi-heure, Théodore Mikhaïlovitch chercha son chapeau, salua précipitamment d’un air gauche, et sortit sans donner la main à personne.

Aussitôt qu’il fut parti, Aniouta s’enfuit dans sa chambre, où elle se jeta sur son lit en fondant en larmes :

« Toujours, toujours on me gâte tout », répétait-elle avec des sanglots convulsifs.

Notre pauvre maman se sentait coupable sans avoir commis la moindre faute ; et, froissée de voir que, malgré ses tentatives de conciliation, chacun lui en voulait, elle se prit aussi à pleurer.

« Tu es toujours ainsi, disait-elle à sa fille d’un ton de reproche, sanglotant elle-même comme un enfant : on ne parvient jamais à te satisfaire. Ton père a fait tout ce que tu voulais, il t’a permis de faire la connaissance de ton idéal, j’ai supporté sa grossièreté pendant une heure, et c’est nous que tu accuses ! »

En un mot nous étions tous malheureux ; cette visite si attendue, à laquelle on s’était préparé si longtemps à l’avance, ne laissait qu’une impression pénible.

Cependant, au bout de quatre ou cinq jours, Dostoiévsky revint ; et, cette fois, sa visite tomba fort à propos ; ni maman, ni les tantes ne se trouvaient à la maison ; nous étions seules, ma sœur et moi, et la glace fut aussitôt rompue. Théodore Mikhaïlovitch prit Aniouta par la main, ils s’assirent l’un près de l’autre sur un canapé et causèrent comme d’anciens amis.