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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/160

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nos relations avec dostoiévsky.

côtés. Les uns, ayant fait depuis dix ans de brillantes carrières, s’étaient élevés jusqu’au sommet de l’échelle sociale. D’autres, au contraire, tombés dans la gêne, nouant péniblement les deux bouts, traînaient des existences ternes dans les quartiers éloignés de la ville. Ces personnes qui n’avaient entre elles rien de commun, acceptèrent presque toutes l’invitation de maman, et vinrent à cette soirée par souvenir « pour cette pauvre chère Lise ».

La société réunie chez nous fut donc assez nombreuse, mais fort mêlée. Au nombre des invités se trouvaient la femme et la fille d’un ministre (le ministre lui-même avait promis d’entrer un instant vers la fin de la soirée, mais ne tint pas sa promesse). Nous avions aussi un personnage officiel important, Allemand d’origine, très vieux, très chauve, et qui, il m’en souvient, avait la drôle d’habitude de remuer sans cesse sa bouche édentée comme pour donner un baiser, et de constamment déposer ce baiser sur la main de ma mère. « Elle était très belle, votre maman, aucune de ses filles n’est aussi belle », répétait-il avec son accent germanique.

Nous avions un propriétaire des provinces baltiques, ruiné, retiré à Pétersbourg, et vainement à la recherche d’une bonne place. Nous avions de respectables veuves, de vieilles demoiselles, et plusieurs académiciens, autrefois amis de mon grand-père. L’élément dominant était allemand, bien élevé, prétentieux et incolore.

L’appartement de mes tantes, quoique fort grand