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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/164

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nos relations avec dostoiévsky.

sourire stéréotypé, « son sourire de salon », « le sourire pudique d’un ange », comme disait aigrement notre institutrice anglaise.

Dostoiévsky jeta les yeux sur ce groupe, et dans sa tête s’échafauda aussitôt tout un roman : Aniouta déteste et méprise ce « petit Allemand », ce « fat insolent », ses parents évidemment veulent le lui faire épouser, et les réunissent aussi souvent que possible ; la soirée n’a pas d’autre but.

Ce roman imaginé, Dostoiévsky tout de suite y crut fermement, et s’en indigna.

Le thème de conversation à la mode, cet hiver-là, était un livre publié par un pasteur anglican ; un parallèle de l’Église orthodoxe et du protestantisme, sujet intéressant pour cette société russe-allemande, et, une fois sur ce chapitre, la conversation s’anima un peu. Maman, Allemande elle-même, fit remarquer qu’une des supériorités du protestantisme sur l’orthodoxie consistait dans la lecture des Évangiles.

« Mais l’Évangile est-il écrit pour les femmes du monde ? »

Cette exclamation inattendue fut poussée par Dostoiévsky ; jusque-là il s’était tu avec obstination. « Que dit l’Évangile ? « Au commencement, Dieu créa « l’homme et la femme. » Ou bien encore : « Et l’homme quittera son père et sa mère, et ne fera qu’un avec sa femme ». Voilà comment le Christ comprenait le mariage. Qu’en pensent toutes les mamans, uniquement occupées à bien placer leurs filles ? »