Aller au contenu

Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/166

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
149
nos relations avec dostoiévsky.

longues ni moins fréquentes, peut-être même venait-il plus souvent, mais le temps se passait presque entièrement en querelles.

Au début de nos relations avec Dostoiévsky, ma sœur eût sacrifié tous les divertissements, toutes les invitations, au plaisir de l’attendre : quand il était là, elle ne voyait que lui et ne faisait aucune attention aux autres personnes. Tout cela fut changé. Dostoiévsky venait-il quand nous avions du monde, Aniouta continuait tranquillement à s’occuper de ses hôtes. Recevait-elle quelque invitation pour le soir où Théodore Mikhaïlovitch devait venir, elle lui écrivait un mot d’excuse. Le lendemain, il arrivait furieux. Aniouta semblait ne pas remarquer cette fâcheuse disposition d’esprit, prenait son ouvrage et se mettait à coudre. De plus en plus agacé, Dostoiévsky s’asseyait dans un coin et gardait un silence farouche. Ma sœur se taisait aussi.

« Mais jetez donc votre ouvrage ! » disait enfin Théodore Mikhaïlovitch, n’y tenant plus.

Et il lui retirait l’ouvrage des mains.

Ma sœur croisait les bras d’un air résigné et ne disait mot.

« Où avez-vous été hier ? demandait Théodore Mikhaïlovitch irrité.

— Au bal, répondait ma sœur avec indifférence.

— Et vous avez dansé ?

— Mais certainement.

— Avec votre cousin ?

— Avec lui et avec d’autres.