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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/173

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sophie kovalewsky.

et de dîners, avait prétexté une migraine. Nous étions seules à la maison. Ce soir-là, Dostoiévsky vint nous voir.

L’approche du départ, le sentiment de n’avoir personne à la maison pour nous surveiller, celui, d’ailleurs, qu’une soirée semblable ne se renouvellerait plus de sitôt, nous mettaient dans une certaine excitation joyeuse. Théodore Mikhaïlovitch aussi paraissait un peu nerveux et bizarre, mais nullement irritable comme il l’avait été dans les derniers temps, et, au contraire, doux et affectueux.

Le moment était bien choisi pour lui jouer sa sonate favorite : je me réjouissais, à l’avance, du plaisir que j’allais lui faire.

Je commençai. La difficulté du morceau, la nécessité de m’appliquer, la crainte des fausses notes, absorbèrent si bien mon attention que je ne remarquai rien de ce qui se passait autour de moi… Me voilà donc au bout de ma sonate avec la conviction d’avoir bien joué. Mes mains éprouvaient une certaine fatigue ; mais une fatigue agréable, causée par la musique, et par la douce émotion qu’on éprouve toujours à sentir que l’on a bien rempli sa tâche ; et j’attendais les éloges que je croyais avoir mérités. Mais, autour de moi, tout restait silencieux. Je me retournai : la chambre était vide.

Le cœur me manqua. Je ne soupçonnai rien encore de positif, mais je passai dans la chambre voisine avec un triste pressentiment ; elle était vide aussi. Enfin, soulevant une portière, qui dissimulait la porte