certains autres, un orgue de Barbarie, grinçant dans la rue, les attendrira jusqu’aux larmes.
Le jour où je jouai, Théodore Mikhaïlovitch se trouvait dans une heure d’attendrissement et de sensibilité ; il fut enthousiasmé de mon jeu, et me fit, suivant son habitude, les compliments les plus exagérés : j’avais du talent, de l’âme, que n’avais-je pas ?
Dès lors, naturellement, je me passionnai pour la musique. Je priai maman de me donner un bon professeur ; et pendant tout notre séjour à Pétersbourg je passai mes heures de loisir au piano, si bien qu’en trois mois je fis vraiment de grands progrès.
L’idée me vint alors de préparer une surprise à Dostoiévsky. Par hasard il nous avait dit une fois que, de toutes les œuvres musicales, celle qu’il préférait était la Sonate pathétique de Beethoven : cette sonate le plongeait dans un monde de sensations oubliées. Bien que cette sonate dépassât en difiiculté ce que j’avais joué jusque-là, je résolus, coûte que coûte, de l’apprendre ; et, après y avoir mis beaucoup de temps et de peine, je parvins, en effet, à la jouer passablement. Restait à trouver le moment favorable pour enchanter Dostoiévsky. Ce moment se présenta bientôt.
Nous n’avions plus que cinq ou six jours à passer à Pétersbourg. Maman et toutes les tantes étaient invitées à dîner chez l’ambassadeur de Suède, un ancien ami de la famille. Aniouta, fatiguée de soirées.