Aller au contenu

Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/175

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
158
sophie kovalewsky.

encore à moitié vêtue, dans mon lit, où j’enfonçai la tête sous la couverture.

À ce moment, j’étais possédée d’une seule crainte : pourvu que ma sœur ne vienne pas me chercher et ne me ramène pas au salon. Je ne pouvais supporter l’idée de les voir.

Un sentiment inconnu d’amertume, d’insulte, de honte — surtout d’insulte et de honte — remplissait mon âme. Jusque-là, dans mes pensées les plus intimes, je ne m’étais pas rendu compte de ce que j’éprouvais pour Dostoiévsky, et ne m’étais pas avoué que je l’aimais.

Bien que je n’eusse que treize ans, j’avais beaucoup lu, et souvent entendu parler d’amour ; mais je croyais que l’on n’aimait que dans les livres, et non pas dans la vie réelle. Quant à Dostoiévsky, je m’imaginais que toute la vie devait se passer avec lui comme ces derniers mois.

« Et maintenant, subitement, c’est fini, tout à fait fini », me répétais-je avec désespoir. Je comprenais clairement alors, en voyant tout irrévocablement perdu, combien j’avais été heureuse hier, aujourd’hui, il y a quelques minutes encore… et maintenant, mon Dieu ! maintenant !

Ce qui était fini, changé, je ne me l’expliquais pas, mais je sentais que pour moi tout s’était éteint, décoloré et que la vie ne valait pas la peine d’être vécue.

« Pourquoi se sont-ils moqués de moi ? pourquoi toutes ces cachotteries et toutes ces hypocrisies ? pensais-je avec une colère injuste. Eh bien ! qu’il