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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/176

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nos relations avec dostoiévsky.

l’aime, qu’il l’épouse, qu’est-ce que cela me fait ? » me dis-je au bout de quelques minutes. Mais mes larmes coulaient toujours, et mon cœur se serrait d’une douleur inconnue, intolérable.

Le temps passait. J’aurais voulu maintenant qu’Aniouta vînt me chercher. Je lui en voulais de ne pas venir.

« Ils n’ont aucun besoin de moi, mon Dieu, et me laisseraient bien mourir !… Et si j’allais vraiment mourir ? »

Je fus prise d’une inexprimable pitié pour moi-même, et mes larmes redoublèrent.

« Que font-ils maintenant ?… Comme ils doivent être heureux ! » Et j’eus l’idée folle de courir auprès d’eux, de leur faire des reproches violents.

Je sautai du lit, et, les mains tremblantes, je me mis à chercher les allumettes pour faire de la lumière et m’habiller. Je ne trouvai pas d’allumettes, et comme j’avais jeté mes vêtements au hasard, de tous côtés, je ne parvins pas à me rhabiller dans l’obscurité ; je ne voulus pas appeler la femme de chambre : force me fut de me recoucher ; et je me repris à sangloter avec le sentiment d’un abandon sans espoir et sans consolation.

Les larmes nous épuisent vite, quand l’organisme n’est pas habitué à souffrir : à ce paroxysme de douleur aiguë succéda une torpeur profonde.

Des salons de réception aucun bruit ne venait jusqu’à ma chambre, mais dans la cuisine, à côté, j’entendais les domestiques s’apprêter à souper. On