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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/179

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sophie kovalewsky.

sition, qui s’accomplit lentement en lui, et dont les autres ne s’aperçoivent pas.

Tout cela est odieux et cruel ; mais les premières minutes où, après un court intervalle de repos, d’oubli, on rentre dans la réalité, sont encore ce qu’il y a de pire. Je passai la journée suivante dans une attente fiévreuse :

« Que va-t-il arriver ? »

Je ne questionnai pas ma sœur : la haine de la veille subsistait encore, bien qu’à un moindre degré ; aussi évitai-je Aniouta de toutes les façons. En me voyant si malheureuse, elle tenta de se rapprocher de moi et de me caresser, mais je la repoussai rudement, dans un soudain accès de colère. Alors, à son tour, elle s’offensa et m’abandonna à mes sombres méditations.

J’étais persuadée, je ne sais pourquoi, que Dostoiévsky viendrait le soir, et qu’il se passerait quelque chose de terrible : mais il ne vint pas. Nous nous mîmes à table pour dîner ; il n’avait pas encore paru. Après le dîner, je le savais, nous devions aller au concert.

À mesure que la journée s’avançait, et que Dostoiévsky ne se montrait pas, je m’étais senti le cœur plus léger ; une espérance vague et mélancolique s’emparait de moi. Alors une idée me saisit : « Ma sœur refusera le concert, restera à la maison, et Théodore Mikhaïlovitch viendra quand elle sera seule ».

Cette pensée me rendit ma jalousie.