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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/180

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nos relations avec dostoiévsky.

Mais Aniouta vint au concert, et fut très gaie, très animée durant la soirée.

En rentrant du concert, après nous être couchées, comme Aniouta allait éteindre la bougie, je ne pus me contenir et je demandai sans la regarder :

« Quand donc Théodore Mikhaïlovitch viendra-t-il te voir ? »

Aniouta sourit.

« Je croyais que tu ne voulais rien savoir, ne plus me parler, et te contenter de bouder ? »

Sa voix était si douce et si affectueuse, que mon cœur subitement se fondit de tendresse pour elle.

« Comment ne l’aimerait-il pas ? Elle est si charmante, et moi si mauvaise et si méchante », me dis-je, avec un soudain accès d’humilité.

Je quittai mon lit pour grimper dans celui de ma sœur, et me serrai tout en larmes contre elle. Aniouta me caressait la tête.

« Mais ne pleure donc pas, petite sotte. Es-tu bête ! » répétait-elle affectueusement. Puis, n’y tenant plus, elle partit d’un grand éclat de rire.

« En voilà une idée ! S’éprendre d’un homme qui a trois fois et demie ton âge ! » dit-elle.

Ces paroles, ce rire éveillèrent en moi une espérance insensée.

« Est-il possible que tu ne l’aimes pas ? » demandai-je à voix basse, suffoquée d’émotion.

Aniouta réfléchit :

" Vois-tu, commença-t-elle en cherchant ses mots, comme empêchée d’exprimer sa pensée, je l’aime