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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/187

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introduction.

tel ou tel système psychologique. Il lui arrivait parfois de dénaturer la réalité par cette critique exagérée ; car, tout en s’analysant avec une sévérité qui touchait à la cruauté, elle ne gardait pas moins le besoin de s’idéaliser, de se considérer avec les qualités qu’elle aurait souhaité posséder ; aussi l’image qu’elle se faisait d’elle-même paraissait-elle fort différente à d’autres : souvent trop sévère, elle était aussi plus indulgente pour elle-même que son entourage.

Son autobiographie, si elle avait pu réaliser le projet de continuer ses souvenirs d’enfance, aurait certainement reproduit l’image qu’elle me dépeignait pendant nos longues causeries psychologiques. Malheureusement cette œuvre, qui eût été une des autobiographies les plus remarquables de la littérature du monde, ne fut pas achevée, et puisque c’est à moi que revient le devoir d’esquisser les traits extérieurs de l’histoire de cette âme, sur laquelle Sophie nous aurait donné des aperçus si profonds, j’ai compris que le seul moyen de remplir ma tâche était d’écrire en quelque sorte sous sa suggestion. J’ai voulu m’identifier à elle, devenir encore une fois son « autre moi », comme elle disait jadis, la décrire enfin, autant que je l’ai pu, telle qu’elle se décrivait à moi.

J’ai laissé plus d’une année s’écouler avant de me décider à publier ces souvenirs. J’ai employé ce temps à me mettre en relation, par correspondance ou conversations, avec les amis que Sophie avait, en