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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/192

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rêves de jeunes-filles.

ditions sociales existantes ne pouvaient durer ; l’ère glorieuse d’affranchissement, de civilisation universelle, notre rêve à toutes, semblait si proche, si certaine ! Et parmi nous quelle communauté de sentiments ! Lorsque nous étions réunies, à trois ou quatre, dans un salon avec des personnes plus âgées, en présence desquelles nous n’osions élever la voix, il suffisait d’un mot, d’un regard, d’un geste pour reconnaître qu’il y avait des amis près de nous. Quelle joie dans cette découverte ! quel mystérieux bonheur, auquel les autres ne comprenaient rien, que de sentir auprès de soi un jeune homme ou une jeune fille à peine entrevus, avec lesquels on n’échangeait que des paroles insignifiantes, et les savoir cependant animés d’espérances et d’idées communes, enflammés du même dévouement pour la même cause ! »

La petite Sonia n’attirait encore l’attention de personne dans le groupe d’amis qui se serrait de plus en plus autour d’Aniouta, son aînée de six ans. C’était encore une enfant ; elle accompagnait Anioula parce que celle-ci aimait et protégeait cette petite fille modeste, aux yeux verts et limpides, « comme des groseilles vertes dans du sirop », dont le regard s’illuminait de joie à chaque parole chaude ou enthousiaste, et qui s’effaçait d’ailleurs dans l’ombre de sa brillante sœur, dont elle reconnaissait la supériorité sous tous les rapports : beauté, charme, talent, intelligence. Cette admiration n’excluait pas toutefois une certaine envie, c’est-à-dire un vif désir d’égaler