Aller au contenu

Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/193

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
176
sophie kovalewsky.

l’objet de son admiration jalouse, sans jamais chercher à le rabaisser.

Sophie avoue ce sentiment dans ses Souvenirs d’enfance et le conserva toute sa vie. Disposée à exagérer chez les autres les qualités qu’elle aurait souhaité posséder elle-même, et à se désoler d’en être privée, la grâce et la beauté la subjuguèrent toujours ; aussi rêvait-elle d’éclipser sa sœur sur un terrain où sa propre infériorité lui fût moins sensible. Dès ses plus jeunes années, on avait admiré son goût naturel pour l’étude, sa vive intelligence, et une soif d’instruction que l’amour-propre, joint aux encouragements de son professeur de mathématiques, vint maintenant fortifier. Sa rapide et puissante faculté d’assimilation, la richesse de ses idées primesautières, rendaient sa vocation scientifique indiscutable ; mais son père, qui n’avait consenti à des études aussi inusitées pour une jeune fille que sous l’influence d’un ami de jeunesse très frappé des dispositions de l’enfant, recula épouvanté lorsqu’il soupçonna sa fille de vouloir prendre ses études au sérieux. Une allusion timide de Sophie au sujet d’une Université étrangère fut aussi mal accueillie que la découverte des travaux littéraires d’Aniouta, c’est-à-dire comme une coupable tentative d’émancipation. Aux yeux du Général, les filles de bonne maison qui réalisaient de semblables projets, n’étaient que des aventurières, destinées à faire le souci et la honte de leurs familles.

Ainsi, dans ce milieu aristocratique, se côtoyaient