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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/195

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sophie kovalewsky.

tique introduisit les trois demoiselles, dont la visite surprit d’autant plus le jeune homme qu’il n’avait avec elles aucune relation de société. Il se leva poliment, les pria de prendre place sur un grand divan où toutes les trois s’assirent côte à côte : un moment de silence embarrassé suivit ce début.

Le professeur assis en face d’elles, dans un fauteuil à bascule, les examinait l’une après l’autre : Aniouta, grande, svelte, blonde, une grâce souple distinguant chacun de ses mouvements, ses grands yeux brillants, d’un bleu foncé, fixés sur lui sans timidité, mais avec une certaine hésitation ; Inès, brune, forte, aux traits accentués, au regard profond et un peu dur ; enfin la petite Sonia, toute fluette et menue, avec sa tête bouclée, ses traits réguliers et purs, son front d’enfant innocent, et ses yeux étranges, chercheurs, passionnément interrogateurs.

Aniouta prit enfin la parole, ainsi qu’il avait été préalablement convenu entre elles, et sans la moindre trace de confusion, posa au professeur la question suivante : « Serait-il disposé à les « affranchir » par un mariage avec l’une d’entre elles, pour les conduire ensuite à une université suisse ou allemande et les y laisser ? »

Dans un autre pays et d’autres circonstances, un jeune homme eût été fort en peine de répondre à une question semblable, posée par une belle jeune fille, sans y mêler un peu de galanterie, ou tout au moins une légère pointe d’ironie. Mais celui-ci était à la hauteur de la situation ; Aniouta avait bien choisi sous