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rêves de jeunes-filles.

ce rapport ; il répondit froidement et sérieusement qu’il n’éprouvait pas le moindre désir d’accepter une proposition de ce genre.

Et les jeunes filles ? On croit peut-être que ce refus les humilia ? Nullement. Leur vanité féminine n’était pas en jeu ; jamais l’idée de plaire à ce jeune homme ne leur était venue. Elles reçurent ce refus aussi tranquillement qu’un homme, offrant à un autre de lui servir de compagnon de voyage, verrait décliner son offre. Toutes trois se levèrent pour partir, reconduites par le professeur, qui échangea à la porte des poignées de main avec elles. Pendant bien des années elles ne le revirent plus, et jamais elles n’eurent la moindre crainte de le voir abuser de leur confiance. Il appartenait à la sainte ligue, qui tenait, serrés comme dans un anneau, les cœurs battant pour la même cause : cela suffisait.

Quinze ans plus tard, Mme Kovalewsky, alors à l’apogée de sa célébrité, rencontra dans le monde, à Pétersbourg, l’homme qu’elle était venue demander en mariage ; ils causèrent en plaisantant de cet insuccès.

Vers cette époque, une amie d’Aniouta commit la bassesse de se marier par inclination. Combien on la plaignit et on la méprisa ! Le cœur de Sonia surtout se gonflait d’indignation à l’idée d’une aussi misérable désertion de tout idéal. La jeune mariée elle-même, honteuse de cette action comme d’une chute, n’osait parler à ses amies de son bonheur conjugal, et elle défendit à son mari de lui donner le moindre signe de tendresse en leur présence.