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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/200

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rêves de jeunes-filles.

saient sur tous les meubles ; un vieux divan semblait en avoir été débarrassé uniquement pour faire place à la nouvelle venue.

Le jeune homme ne ressemblait pas à un héros de roman. Une épaisse barbe rousse, et un énorme nez, le faisaient paraître laid au premier abord ; mais le regard de ses yeux bleu foncé, à l’expression intelligente et douce, exerçait vite un grand charme. Son attitude envers la jeune fille, qui venait si singulièrement se confier à lui, fut celle d’un frère aîné.

Les deux jeunes gens, attendirent en proie à une vive émotion ; plus d’une fois Sophie sauta du divan en croyant entendre précipitamment monter quelqu’un.

Pendant ce temps, le Général et sa femme, rentrés assez tard, n’eurent que le temps de changer de toilette avant le dîner, et ne remarquèrent pas l’absence de leur fille cadette ; ils ne s’en aperçurent que lorsque tout le monde fut réuni dans la salle à manger au moment de se mettre à table.

« Où est Sonia ? » demandèrent-ils tous deux à Aniouta, qui semblait ce jour-là plus imposante et plus sûre d’elle-même que jamais, malgré l’expression nerveuse et agitée de son regard provocateur.

« Elle est sortie », répondit-elle, d’une voix étouffée, dont elle cherchait vainement à dominer le tremblement, tout en évitant les yeux de son père.

« Sortie ? Que signifie cela ? Avec qui ?

— Seule, mais elle a laissé un billet sur sa toilette. »

Un domestique fut aussitôt envoyé à la recherche du billet et l’on se mit à table dans un silence de mort.