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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/215

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sophie kovalewsky.

point de vue de ses travaux ; ses pensées devenaient des tyrans, au lieu de rester des serviteurs, et la joie de produire, de créer, disparaissait entièrement. Ce fut tout le contraire lorsqu’elle s’occupa plus tard de littérature ; alors elle s’épanouissait et se sentait heureuse.

Le surmenage ne fut pas seul à rendre le séjour de Berlin pénible : d’autres circonstances y contribuèrent, particulièrement l’étrangeté des rapports de Sophie avec son mari, et la fausseté d’une situation que l’intervention des parents rendit plus pénible encore. Ceux-ci vinrent à plusieurs reprises voir leur fille, l’emmenèrent même en Russie pendant les vacances, et pénétrèrent la vérité ; ils firent des remontrances, mais n’obtinrent aucune modification à l’attitude de Sophie envers Voldemar. Elle souffrait cependant de sa solitude, car elle éprouvait déjà ce besoin passionné de vivre, qui la dévora plus tard ; elle n’avait rien d’une pédante, comme son genre de vie aurait pu le faire supposer ; c’était une femme timide, absolument dépourvue d’esprit pratique, sentant l’équivoque de sa situation, et craignant de se compromettre.

Ce manque d’esprit pratique compliqua beaucoup la vie matérielle des deux amies. Elles avaient le don de choisir les plus mauvais logements, de prendre les domestiques les plus suspects, et de se nourrir de la façon la plus malsaine. Elles tombèrent même une fois entre les mains d’une véritable bande de voleurs, qui les exploita systématiquement. Malgré