Aller au contenu

Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/214

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
197
une année d’études chez weiertstrass.

tastique, elle me priait de lui tenir société, et racontait volontiers ses rêves ; ceux-ci étaient toujours curieux ou intéressants, et avaient souvent le caractère de visions, auxquelles Sophie attachait une signification prophétique, que l’avenir justifiait en général ; en résumé c’était un tempérament d’une excessive nervosité. L’esprit toujours agité, elle aspirait sans cesse à quelque but compliqué, et jamais cependant je ne l’ai vue plus découragée que lorsque son but était atteint, car jamais la réalité ne répondait à ce qu’elle en avait attendu. Quoiqu’elle fût peu aimable tant que son idée la préoccupait, on s’attendrissait involontairement sur elle, en la voyant si malheureuse en plein succès ; cette mobilité même, ce continuel passage d’une impression joyeuse à une impression sombre, la rendait intéressante et profondément sympathique.

« Notre séjour à Berlin fut, dans son ensemble, sans aucun agrément ; mal logées, mal nourries, privées d’air et de distractions, surmenées de travail, je pensais à Heidelberg comme à un paradis perdu ; aussi Sophie, après avoir obtenu le grade de docteur dans l’automne de 1874, se trouva-t-elle si épuisée de corps et d’esprit, qu’après être rentrée en Russie elle resta longtemps incapable de tout travail intellectuel. »

Cette absence de joie dans le travail, dont parle ici son amie, fut pour Sophie une souffrance attachée au travail scientifique ; elle s’y livrait avec trop d’excès, et en perdait la faculté de jouir de la vie, même au