Aller au contenu

Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/225

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
208
sophie kovalewsky.

de son côté, l’avait aimée avec prédilection. Cette mort la laissa donc tristement isolée. Aniouta pouvait épancher sa douleur avec son mari, Sophie restait seule ; celui qui ne demandait qu’à la consoler avait toujours été repoussé jusque-là, mais cette situation leur parut plus cruellement illogique que jamais. Le besoin d’affection l’emporta sur les préjugés, et leur union véritable fut consacrée dans le calme et le silence de cette maison de deuil.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

L’hiver suivant, toute la famille se transporta à Pétersbourg, où Sophie devint aussitôt le centre d’une société très distinguée, au point de vue de l’intelligence, et de l’activité d’esprit spéciale à certains milieux russes. Les Russes vraiment éclairés et dénués de préjugés dépassent, en largeur d’idées et en liberté de jugement, tous les autres peuples de l’Europe ; ils sont les premiers à accepter de nouveaux horizons, et joignent à une remarquable vivacité de conception, une foi enthousiaste en leur idéal. Ce n’est pas l’opinion de Sophie seule que je rapporte, mais celle de toutes les personnes qui ont connu certaines sociétés russes. Sophie fut vite admirée et comprise dans un milieu de ce genre, et cette transformation subite d’existence, après cinq années d’études ardues, privée de la moindre distraction, fut un véritable épanouissement ; ses brillantes qualités se développèrent toutes à la fois, et la joie de vivre la jeta avec ardeur, presque avec ivresse, dans un tourbillon de plaisirs et de fêtes.