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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/233

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sophie kovalewsky.

témoignée à son chagrin, elle se sentait seule, abandonnée,… pourquoi ne pas accepter le rayon de gaîté que le hasard faisait luire sur son chemin ? Une autre femme se serait compromise par une aventure de ce genre, mais Sophie, habituée à vivre en camarade avec son mari, trouvait tout simple de passer deux jours avec un inconnu ; elle savait tracer une ligne de démarcation dans ses relations avec les hommes, à laquelle on ne se méprenait jamais.

Des relations plus étranges encore, et plus piquantes, s’établirent entre elle et un jeune homme pendant son séjour à Paris. L’hôtesse chez laquelle Sophie demeurait dans un des faubourgs de Paris, put concevoir des doutes en voyant quelqu’un sortir de la chambre de Sophie, parfois à deux heures du matin, et escalader les murs du jardin voisin. Si l’on ajoute à ce détail, que ce même jeune homme passait des journées entières chez Sophie, et s’y attardait jusqu’à la nuit, et qu’elle ne voyait personne d’autre, on peut s’expliquer les soupçons de l’hôtesse. Ses relations furent cependant les plus idéalement pures que l’on puisse imaginer.

Le jeune homme était Polonais, révolutionnaire, poète et mathématicien. Son âme brûlait du même feu que celle de Sophie ; jamais celle-ci n’avait été aussi bien comprise, jamais ses rêves, ses aspirations, ses pensées, n’avaient au même degré été partagés. Bien qu’ils fussent presque toujours ensemble, ils trouvaient encore moyen de s’écrire de longues lettres lorsqu’ils se quittaient pour quelques heures.