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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/244

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arrivée à stockholm.

écrit une seule scène ; mais Sophie possédait à un tel point le don de s’attirer la confiance, qu’avant d’arriver chez le dentiste, je lui avais raconté en français tout le plan de mon drame, avec plus de développements qu’il n’en avait comporté jusque-là. Ce fut le commencement de la grande influence qu’elle exerça depuis sur tout ce que j’écrivis. Sa faculté d’exprimer la sympathie, de s’identifier avec la pensée d’autrui, était si remarquable, son admiration si chaude et si enthousiaste, sa critique si mordante, que pour une nature réceptive comme la mienne, le travail devint impossible sans son approbation. Désapprouvait-elle ce que j’écrivais, je recommençais jusqu’à ce qu’elle fût satisfaite ; c’était le germe de notre collaboration future. Jamais, assurait-elle, je n’aurais écrit les Vraies femmes et En guerre avec la société, si ces deux œuvres, qu’elle n’aimait pas, n’eussent été antérieures à son arrivée en Suède. Au reste sa critique lui ressemblait, et ses jugements littéraires se ressentaient de son tempérament subjectif ; elle acceptait volontiers une œuvre médiocre si elle y trouvait des idées conformes aux siennes ; mais l’auteur venait-il à heurter ses sentiments, son œuvre perdait pour elle toute valeur.

Malgré ces préventions, peu d’esprits ont été plus libres que le sien, plus atfranchis de préjugés et de conventions vulgaires : l’étendue et la variété de ses connaissances, et sa haute culture intellectuelle, la plaçaient au-dessus des idées étroites dont tant de femmes sont les esclaves. Ses jugements et ses criti-