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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/245

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sophie kovalewsky.

ques n’étaient limités que par sa forte individualité, dont les sympathies ou les antipathies défiaient toute logique ou toute discussion.

Notre liaison ne fit pas tout d’abord de grands progrès. Sophie fut obligée de faire une assez longue absence peu de mois après son arrivée. Elle avait eu le temps cependant d’apprendre assez de suédois pour lire toutes mes œuvres, car, aussitôt débarquée, elle s’était mise à prendre des leçons, et ne fit autre chose, pendant les premières semaines, que de travailler le suédois du matin au soir. Mon frère ayant voulu donner une soirée pour lui présenter ses amis du monde universitaire, elle l’arrêta en disant : « Attendez quinze jours, pour que je puisse parler suédois ».

Nous trouvâmes le mot audacieux, mais elle tint parole, et parlait assez pour se faire comprendre au bout de quinze jours ; dès le premier hiver elle apprit à connaître toute notre littérature moderne, et lut avec ravissement Frithiofs saga.

Cette étonnante facilité avait des bornes ; elle-même prétendait ne pas posséder le don des langues, et ne les avoir jamais apprises que par nécessité ou amour-propre ; malgré la rapidité de ses progrès au début, elle n’arrivait jamais à rien perfectionner, et restait au même point, oubliant la dernière langue apprise avant d’en parler une nouvelle. Venue très jeune en Allemagne, elle parlait néanmoins fort mal l’allemand, et ses amis de Berlin riaient des mots bizarres et drôles qu’elle inventait au besoin, car jamais elle ne