Aller au contenu

Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/246

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
229
arrivée à stockholm.

se laissait arrêter par un aussi mince détail que l’absence du mot juste. Quelque peu maîtresse qu’elle fût d’une langue, elle réussissait toujours à la parler avec rapidité et à donner un tour tout personnel à sa conversation. En revanche, aussitôt qu’elle eut appris le suédois, elle oublia l’allemand, et quand elle revenait en Suède après quelques mois d’absence, son suédois devenait raboteux. Sa façon de s’exprimer dépendait d’ailleurs, comme tout le reste, de sa disposition d’esprit du moment : triste ou fatiguée, elle ne trouvait plus ses mots ; bien disposée, elle parlait avec finesse et facilité. La langue étrangère qu’elle possédait le mieux était le français, bien qu’elle ne fût jamais arrivée à l’écrire correctement. En Russie on reprochait à son style de subir une influence étrangère, mais en Suède elle se plaignait à ses amis de ne pouvoir leur parler russe : « Jamais, disait-elle, je ne puis vous exprimer les nuances délicates de ma pensée ; il faut toujours me contenter d’une circonlocution ou d’un à peu près ; aussi quand je rentre en Russie, me semble-t-il sortir d’une espèce de captivité, où mes meilleures pensées sont prisonnières. Vous ne sauriez croire combien on souffre d’être forcée de ne parler qu’une langue étrangère à ceux qu’on aime. C’est comme un masque qu’on porte toujours sur la figure. »

En février 1884, je fis un voyage à Londres, et ne revis Sophie qu’en septembre de la même année ; elle ne m’écrivit qu’une fois, et décrit ainsi dans sa lettre son premier hiver à Stockholm. La lettre ne porte pas