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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/25

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sophie kovalewsky.

gaie et parée — en toilette de bal généralement, décolletée, les bras nus chargés de bracelets ; elle va dans le monde, en soirée, et entre nous dire bonsoir.

Aussitôt qu’elle paraît sur le seuil de la porte, Aniouta s’élance au-devant d’elle, lui baise les mains et le cou, et s’amuse à examiner ses bijoux.

« Je veux être belle comme maman quand je serai grande ! » dit-elle en se parant du collier et des bracelets de maman, et en se haussant sur la pointe des pieds pour se mirer dans la petite glace qui pend au mur. Maman s’amuse beaucoup.

Moi aussi j’ai parfois le désir de caresser ma mère, de grimper sur ses genoux ; mais, le plus souvent, ces essais tournent à ma honte : tantôt je fais mal à maman, tantôt je déchire sa robe, et je me sauve confuse dans un coin pour me cacher.

De là une certaine contrainte dans mes rapports avec ma mère, contrainte qui devient de la sauvagerie, en entendant ma bonne répéter sans cesse qu’Aniouta et Fédia sont les préférés, et que je suis, moi, celle qu’on n’aime pas.

Était-ce vrai ? — je ne le sais pas ; toujours est-il que Niania le disait fréquemment, sans se trouver gênée de ma présence. Peut-être se l’imaginait-elle à cause de sa prédilection pour moi. Bien qu’elle nous eût élevés tous les trois, elle me considérait, je ne sais pourquoi, comme étant plus spécialement son élève, et s’offensait de ce qui lui paraissait une insulte envers moi.