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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/26

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premiers souvenirs.

Aniouta, beaucoup plus âgée que nous, jouissait pour cette raison d’immunités particulières. Elle grandissait indépendante comme un cosaque, et ne reconnaissait l’autorité de personne. L’entrée du salon lui était librement ouverte, et elle s’y était acquis la réputation d’une charmante enfant, qui savait amuser son monde, tout en se permettant parfois des sorties et des observations fort impertinentes. Mon frère et moi ne paraissions dans les appartements de réception que rarement ; nous dînions et déjeunions généralement dans notre chambre.

Quelquefois, quand il y avait du monde à dîner, Nastasia, la camériste de ma mère, entrait en courant au moment du dessert pour dire :

« Niania, mettez vite à Fédia son costume de soie bleue et menez-le dans la salle à manger. Madame veut le montrer aux invités.

— Et Sonia, comment faut-il l’habiller ? demandait la bonne d’un ton bourru, prévoyant la réponse ordinaire.

— On n’a pas besoin de Sonia, elle peut rester dans sa chambre, c’est notre petite solitaire », répondait en riant la femme de chambre, qui savait que par sa réponse elle mettait Niania en fureur.

Niania voyait réellement une insulte pour moi dans ce désir de montrer Fédia seul ; et, mécontente, elle marchait longtemps dans la chambre, grommelant entre ses dents, et me jetant des regards de sympathie.