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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/277

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sophie kovalewsky.

de la nature, c’est-à-dire ce qu’elle ressentait par l’imagination, était fort vif en elle, mais sa myopie l’empêchait de rien apercevoir des détails d’un paysage ; elle aurait été incapable de nommer les arbres, ou les plantes, devant lesquels elle passait, de remarquer les produits de la terre, ou la construction des maisons ; mais une coquetterie féminine, et l’horreur de l’ornement traditionnel des bas-bleus, l’empêchait de porter des lunettes.

Si elle a, malgré tout, donné dans ses livres des descriptions du printemps qui ne sont pas seulement vraies par le sentiment et la couleur, mais encore par l’exactitude du détail purement matériel, c’est grâce à ses connaissances théoriques, plutôt qu’à ses observations personnelles. Outre qu’elle avait fait de bonnes études en sciences naturelles, elle avait encore aidé son mari dans sa traduction du livre de Brehm, et dans ses cours de géologie et de paléontologie. Son observation des petits phénomènes journaliers de la nature manquait cependant de finesse ; elle n’avait ni le sens du détail, ni la sûreté du goût : le paysage le plus dépourvu de caractère devenait beau à ses yeux, selon sa disposition du moment, et le paysage le plus beau comme lignes et couleurs lui restait indifférent, si elle était de mauvaise humeur. Il en était de même pour son appréciation de la beauté humaine ; le sens de la pureté des lignes, de l’harmonie des proportions, et d’autres conditions de la beauté objective, lui manquait complètement. Si les personnes lui inspiraient de la sympathie, ou possédaient quelques-