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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/278

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humeurs changeantes.

unes des qualités extérieures qu’elle admirait particulièrement, elles étaient belles, et les autres laides. Un blond ou une blonde avait chance de lui plaire, un brun ou une brune rarement. Et à ce propos je ne puis omettre le manque absolu de goût pour les arts dans cette nature si richement douée ; elle fit bien des séjours à Paris sans jamais aller au Louvre ; la peinture, la sculpture, l’architecture n’eurent jamais aucun attrait pour elle, et quant aux décorations d’une chambre, ou aux côtés élégants de l’industrie, elle leur resta toujours indifférente.

Cependant la nature de la Norvège, et les hommes que nous y rencontrâmes, la charmèrent. Nous avions l’intention de continuer notre voyage en carriole au travers du Telemarken, par les montagnes de Haukeli, pour descendre vers la côte de l’ouest, où nous comptions faire une visite à Alexandre Kielland à Jäderen. Mais, bien qu’elle eût souvent rêvé à ce voyage de Norvège, et qu’elle en fût ravie, et malgré son vif désir de connaître Kielland, une voix l’appelait, à laquelle il lui devenait impossible de, résister. Et ainsi, à moitié route, sur un des bateaux à vapeur, dans un fiord qui pénétrait profondément dans le Telemarken, elle se décida subitement à retourner à Christiania, et de là en Suède, pour s’installer à la campagne et y travailler tranquillement. Elle me quitta, prit un autre bateau, et retourna à Christiania. Je ne pus ni la dissuader ni la blâmer, car je savais par expérience qu’on ne résiste pas à cet appel ; tout devient indifférent, on devient sourd et aveugle pour ceux qui vous