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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/281

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sophie kovalewsky.

elle acheta quelques meubles, en fit venir d’autres de Russie, et s’arrangea un « chez elle » qui garda toujours l’empreinte d’une installation provisoire. Le salon amené de Russie était caractérisque ; il venait de la maison de ses parents, et avait toute la pompe de vieux meubles aristocratiques ; il avait autrefois garni un énorme salon, et se composait d’un immense sopha qui occupait tout un côté du mur, d’un canapé faisant jadis partie d’un meuble décoratif destiné à être orné de plantes et placé au milieu d’une pièce, de grands fauteuils en acajou, profonds, richement sculptés, et recouverts, comme le reste du mobilier, de damas rouge foncé, très déchiré, avec des sièges défoncés et des ressorts brisés. Il fut toujours question de réparer ces fauteuils, mais on en resta là, en partie parce que, selon le point de vue russe de Sophie, il n’y avait rien d’extraordinaire à avoir des meubles déchirés dans son salon, en partie aussi, parce que jamais elle ne s’attacha à Stockholm, et n’eut jamais le sentiment que cette demeure fût autre chose qu’une station sur sa route ; elle ne voulait donc pas faire de dépenses inutiles.

Cependant quand elle était de bonne humeur, il lui prenait soudain la fantaisie d’orner sa chambre d’ouvrages de sa façon. Un jour elle m’écrivit à ce sujet le billet suivant :


« Anne-Charlotte,

« Hier soir j’ai eu la preuve éclatante de la justesse des critiques qui prétendent que tu n’as d’yeux que