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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/296

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désillusions et tristesses.

tout semble se couvrir d’un voile noir, aussi bien pour soi que pour ses amis ? On ne reconnaît pas ce que l’on a de plus cher, et la fraise la plus savoureuse quand on la prend dans la bouche, se change en sable. Skogstomten le (Rubezahl suédois) en menaçait les enfants qui entraient dans la forêt sans permission. Peut-être n’avons-nous pas demandé la permission, nous autres, d’être gaies cet été ! — et cependant nous avions fameusement travaillé tout l’hiver. J’essaye même de travailler maintenant, et j’emploie tous mes loisirs à penser à mon travail de mathématiques et à étudier les traités de Poincaré. Je suis trop démontée, je ne suis pas assez heureuse pour écrire rien de littéraire : tout dans la vie me paraît décoloré et peu intéressant ! Dans de pareils moments les mathématiques sont préférables ; on est heureux qu’il existe un monde si complètement en dehors du « moi » ; on a besoin de penser à des sujets impersonnels. Toi seulement, ma chère, ma précieuse, mon unique Anne-Charlotte, tu me restes également chère. Je ne puis te dire combien j’aspire à te revoir. Tu es ce que j’aime le plus, et notre amitié, au moins, doit durer autant que notre vie. Je ne sais ce qu’elle serait devenue, ma vie, sans toi. »

Plus tard, en français :

« Mon beau-frère s’est décidé maintenant à rester à Pétersbourg jusqu’à ce que ma sœur soit en état de le suivre à Paris. Je me suis donc sacrifiée fort inutilement. Si je savais que tu fusses libre, je serais venue te rejoindre à Paris, quoiqu’à vrai dire toutes