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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/31

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sophie kovalewsky.

flèche à la recherche de ma bonne qui me calmait presque toujours. Quelquefois cependant cette angoisse se prolongeait pendant plusieurs heures.

Beaucoup d’enfants nerveux éprouvent, je crois, des troubles analogues ; on dit alors que l’enfant a peur de l’obscurité ; l’expression est fausse, car cette sensation résulte moins de l’obscurité même, que de l’envahissement progressif des ténèbres, et des effets qui s’y rattachent. Je me rappelle avoir éprouvé des impressions du même genre dans des circonstances très différentes ; par exemple si j’apercevais en promenade quelque grande bâtisse inachevée, aux murailles de briques percées de trous en guise de fenêtres. Je l’éprouvais aussi en été, si, couchée à terre sur le dos, je regardais le ciel sans nuages au-dessus de ma tête. D’autres signes de grande nervosité se manifestèrent encore en moi, et surtout une répulsion pour toute difformité physique allant jusqu’à la terreur. Il suffisait de parler devant moi d’un poulet à deux têtes ou d’un veau à trois pattes, pour me faire frissonner, et me donner le cauchemar la nuit suivante : je réveillais alors ma bonne par des cris perçants. Il me semble voir encore un homme à trois jambes qui m’a poursuivie en rêve pendant mon enfance. La vue d’une poupée cassée m’épouvantait : Niania devait ramasser ma poupée, quand je la laissais tomber, pour me dire si elle était intacte, et dans le cas contraire l’emporter bien vite. Je vois encore le jour où Aniouta m’ayant trouvée seule, s’amusa pour me taquiner à me mettre de force sous