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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/329

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sophie kovalewsky.

ne serait jamais satisfaite du sentiment qui tombe en partage à la plupart des femmes ; elle s’analysait trop, elle se noyait en réflexions sur son propre « moi », elle n’avait pas l’attachement qui s’oublie, mais, au contraire, celui qui exige autant qu’il donne, et qui tourmente sans cesse l’homme aimé par une critique rigoureuse de la qualité de ce qu’il donne. Elle convenait en partie de la justesse de mes raisonnements.

Notre arrivée à Paris fut singulièrement triste : cette arrivée si souvent entrevue sous les couleurs les plus riantes par notre imagination ! Nous allâmes directement de la gare à la librairie Nilson, pour y prendre des lettres attendues avec impatience, et que nous trouvâmes effectivement : mais elles nous donnèrent beaucoup à penser à toutes deux. Je n’étais venue qu’une fois à Paris, en revenant de Londres en 1884, et tout à fait en passant, et je questionnai maintenant Sophie sur les édifices et les places publiques que nous apercevions sur notre route, en nous rendant à notre hôtel, dans le voisinage de la place de l’Étoile. Mais elle répondait impatiemment : « Je ne sais pas, je ne reconnais rien ». Ni les Tuileries, ni la place de la Concorde, ni le Palais de l’Industrie, ne lui rappelaient le moindre souvenir, et ne lui avaient laissé la moindre impression. Paris, ce grand et joyeux Paris, cette ville de prédilection, où elle aurait toujours désiré vivre, n’était en ce moment pour elle qu’une agglomération morte de maisons et de rues. Car il n’y avait