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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/346

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la fin.

qui éclairait et développait tout ce qui l’approchait. Son intelligence n’était si féconde que parce qu’elle n’avait rien d’égoïste, et poursuivait toujours l’union, la communion de tous les intérêts intellectuels. Bien qu’il y eût beaucoup de fantaisie et d’imagination dans ses pressentiments, ses prédictions, et ses rêves, il est certain qu’elle avait quelque chose d’une voyante. Lorsqu’elle fixait sur vous ses yeux myopes — mais si brillants et si spirituels, — on les sentait pénétrer jusqu’au dernier repli de l’âme. Que de fois n’a-t-elle pas transpercé d’un seul regard, le masque sous lequel un visage était toujours parvenu à se dissimuler jusque-là, à des yeux moins clairvoyants ! Combien de fois n’a-t-elle pas découvert des motifs secrets, que d’autres ne découvraient pas, — les intéressés eux-mêmes parfois ! — Son art aussi avait quelque chose de divinatoire : un mot détaché, un petit épisode d’insignifiante apparence, pouvait lui dévoiler le lien caché entre l’effet et la cause, et devenir pour elle l’histoire de toute une vie. Le lien, c’était ce que son esprit cherchait partout, dans le monde de la pensée, comme dans les phénomènes de la vie ; elle allait jusqu’à le chercher dans les rapports inconnus entre les lois de la pensée et les phénomènes de la vie ; ce fut une source de souffrance pour elle de ne pouvoir comprendre la vie que par fragments. Aussi rêvait-elle volontiers d’une forme supérieure de l’existence, où, selon la belle parole de l’apôtre, « nous ne verrions plus confusément, comme au travers d’un voile, mais face à face ». Trouver l’unité dans le mul-