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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/46

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fékloucha.

satisfaite, mais elle implora sa grâce avec instance : elle tenait à notre maison, au coin qu’elle habitait, avec un attachement de chat.

« Il ne me reste plus longtemps à vivre, je sens que je mourrai bientôt : comment, avant de mourir, pourrais-je traîner ma vie au milieu d’étrangers ? » disait-elle. Plus tard, lorsque je fus grande fille, Niania se rappelant avec moi cette histoire, m’expliqua la chose autrement :

« C’est qu’elle n’avait pas la force de nous quitter à cause de Philippe Matvéitch, qui restait, lui ; et elle savait bien qu’une fois partie elle ne le reverrait plus. Il faut croire qu’elle l’aimait beaucoup, puisque ayant honnêtement vécu toute sa vie, elle s’était ainsi perdue sur le tard, grâce à lui. »

Quant au jardinier, il réussit à se tirer de l’eau sans se mouiller. Peut-être disait-il vrai en assurant qu’il ignorait la provenance des cadeaux que lui faisait Marie Vassiliévna. En tout cas on le garda, les bons jardiniers étant rares, et le potager ne pouvant être abandonné.

Je ne sais si Niania avait raison, au sujet des sentiments de Marie Vassiliévna ; toujours est-il que, le jour fixé pour son départ, elle vint se jeter aux pieds de mon père :

« Privez-moi de mes gages, traitez-moi comme votre esclave, mais ne me chassez pas ! » disait-elle en sanglotant.

Mon père fut touché de cet attachement à notre maison, mais il craignit l’action démoralisatrice de