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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/47

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sophie kovalewsky.

ce pardon sur les autres domestiques ; pour sortir de difficulté il imagina la combinaison suivante :

« Écoutez, dit-il à la couturière. Le vol est un grand péché ; cependant j’aurais pu vous pardonner si vous n’aviez fait que voler ; mais une petite innocente a souffert à cause de vous. Songez que Fékloucha a été fouettée publiquement et, par votre faute, exposée à une grande honte. C’est là ce que je ne puis vous pardonner. Si vous tenez absolument à rester chez nous, que ce soit à condition de demander pardon à Fékloucha et de lui baiser la main en présence de tous. Si vous y consentez, restez avec la grâce de Dieu. »

Personne ne s’attendait à voir Marie Vassiliévna accepter de pareilles conditions. Comment cette orgueilleuse s’avouerait-elle coupable publiquement devant une petite serve ? comment lui baiserait-elle la main ? Au grand étonnement de tous, Marie Vassiliévna s’exécuta.

Une heure après, tous les domestiques étaient rassemblés dans le vestibule pour assister à cet étrange spectacle : Marie Vassiliévna baisant la main de Fékloucha ! Mon père exigeait que l’expiation fût publique. Il y avait foule. Les maîtres étaient présents, et nous autres enfants avions obtenu la permission d’assister aussi à la cérémonie.

Jamais je n’oublierai cette scène. Fékloucha, confuse de cet honneur inattendu, craignant peut-être aussi que Marie Vassiliévna ne se vengeât plus tard