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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/48

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fékloucha.

de cette humiliation forcée, vint supplier le Barine de la dispenser du baisement de main.

« Je lui pardonne tout de même », disait-elle presque en pleurant.

Mais papa était monté à un diapason si élevé, qu’il croyait agir selon la plus stricte justice ; il renvoya l’enfant en lui criant :

« Petite sotte, de quoi te mêles-tu ? crois-tu donc qu’il soit question de toi ? Si moi, ton maître, je t’avais fait tort, je devrais aussi te baiser la main. Tu ne comprends pas cela ? Eh bien, tais-toi alors et ne raisonne pas. »

Fékloucha, épouvantée, n’osa plus ouvrir la bouche et, tremblante de frayeur, s’en retourna à sa place comme une coupable, dans l’attente de ce qui allait se passer.

Marie Vassiliévna, pâle comme un linge, s’avança à travers la foule, qui s’ouvrait devant elle, marchant comme une automate ou une somnambule, mais d’un air si résolu et si méchant, qu’elle faisait peur. Ses lèvres blanches étaient convulsivement serrées. Elle s’approcha tout près de Fékloucha.

« Pardonne-moi », dit-elle.

Et ces mots furent presque un cri de douleur. Elle saisit la main de la petite pour la porter à ses lèvres, par un geste si violent et une expression si haineuse, qu’on aurait cru qu’elle voulait la mordre. Mais tout à coup son visage se convulsa, l’écume parut sur ses lèvres, et elle tomba à terre en poussant des cris qui n’avaient rien d’humain.