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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/52

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fékloucha.

pénible anxiété qui me troublait le cœur, je ne parvenais pas à chasser le souvenir de Marie Vassiliévna ; et comme il arrive toujours quand on se sent des torts envers quelqu’un, mon imagination me la dépeignit si bonne, que je me sentis invinciblement attirée vers elle.

Je n’osai rien dire à mon institutrice, les enfants n’osent guère parler de leurs sentiments ; j’étais sûre d’ailleurs qu’elle aurait approuvé mon aversion pour la couturière, car toute intimité avec les domestiques nous était défendue. Après le thé du soir, au moment d’aller me coucher, je résolus d’entrer chez Marie Vassiliévna au lieu de me rendre directement à ma chambre. C’était une sorte de sacrifice, car il fallait parcourir toute seule le long corridor sombre et vide à cette heure, dont j’avais si grand’peur et que j’évitais le soir.

Prise d’un courage désespéré, je courus, retenant ma respiration, et me précipitai toute haletante dans la chambre, comme un coup de vent.

Marie Vassiliévna avait déjà soupé, à cause de la fête du lendemain ; elle ne travaillait pas et, assise devant une petite table proprement recouverte d’une serviette blanche, lisait quelques livres de dévotion ; une petite lampe brûlait devant les saintes images : cette chambrette me semblait un asile clair et charmant après l’effrayant corridor sombre, et celle qui l’occupait me parut douce et bonne.

« Je suis venue vous dire bonsoir, ma chère, chère Marie Vassiliévna », m’écriai-je sans reprendre haleine.