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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/62

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notre vie de campagne.

de foie dont elle souffre : elle considère comme un devoir de calmer cet accès de gaieté déplacée, en me faisant remarquer qu’il s’agit pour le moment de travailler et non de rire.

La journée commence pour moi par une leçon de musique. Dans la grande salle d’en haut, où se trouve le piano à queue, la température est fraîche ; aussi mes doigts sont-ils engourdis et gonflés, et mes ongles ont des taches bleuâtres.

Une heure et demie de gammes et d’exercices, accompagnés des petits coups monotones de la baguette avec laquelle mon institutrice marque la mesure, voilà de quoi jeter un froid sur la joie de vivre du commencement de ma journée ! Après la leçon de musique d’autres viennent. Lorsque ma sœur travaillait aussi avec l’institutrice, les leçons avaient pour moi un grand attrait : j’étais alors si petite, il est vrai, qu’on ne me prenait pas au sérieux, mais j’obtenais la permission d’assister aux leçons de ma sœur, et j’écoutais avec une telle attention que, bien souvent, le lendemain, moi, gamine de sept ans, je me rappelais ce qu’une grande fille de quatorze ans avait oublié, et je le lui souillais triomphante. Cela m’amusait extrêmement. Maintenant ma sœur comptait parmi les grandes personnes, elle n’étudiait plus, et les leçons avaient perdu pour moi la moitié de leur charme. Je travaillais cependant avec assez d’assiduité. Mais n’aurais-je pas travaillé autrement avec une camarade d’études ?

À midi, le déjeuner. — À peine le dernier morceau