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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/63

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sophie kovalewsky.

avalé, mon institutrice se dirige vers la fenêtre pour consulter l’état de la température. Je suis ce mouvement, le cœur battant, car cette question est pour moi d’une grande importance. Si le thermomètre marque au-dessous de 10° et qu’il n’y ait pas grand vent, me voilà condamnée à faire la plus ennuyeuse des promenades, avec mon institutrice, le long d’un sentier frayé pour nous dans la neige, et que nous arpentons pendant une heure et demie. Si, pour mon bonheur, le froid est plus vif, ou le vent violent, mon institutrice va faire seule son indispensable promenade, et m’envoie dans la salle d’en haut, jouer au ballon, avec le but hygiénique de faire de l’exercice.

Je n’aime guère ce jeu : j’ai douze ans, et me considère comme une grande fille ; je trouve même blessant que mon institutrice me suppose encore capable de m’amuser à ce jeu d’enfant : mais je n’en accepte pas moins cette recommandation avec le plus vif plaisir, car elle m’annonce une heure et demie de liberté.

Le premier étage appartient exclusivement à maman et à Aniouta, mais toutes deux se retirent dans leur chambre à cette heure : la grande salle reste vide.

Je fais en courant quelques tours dans la salle, lançant le ballon devant moi ; mes pensées sont bien loin. Ainsi que la plupart des enfants élevés dans la solitude, je me suis créé un monde imaginaire, riche en rêves de tous genres, dont personne ne peut soupçonner l’existence. J’aime la poésie avec passion : la forme,