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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/67

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sophie kovalewsky.

grand moyen : elle m’envoyait chez mon père, avec ordre de lui confesser mon crime moi-même. Cette punition me paraissait la pire de toutes.

En réalité, mon père n’était pas sévère pour nous ; mais je le voyais rarement, et seulement à l’heure du dîner : jamais il ne se permettait la moindre familiarité avec nous, excepté lorsque l’un de nous était malade : alors il devenait tout autre. La terreur de perdre un de ses enfants le transformait ; sa voix, sa façon de nous parler, témoignaient une tendresse extrême ; personne ne savait nous caresser ou nous amuser comme lui : nous l’adorions alors, et gardions longtemps le souvenir de ces moments-là.

Mais en temps ordinaire, quand nous étions tous bien portants, il avait pour principe qu’un homme doit être sévère, et se montrait avare de caresses.

Il aimait la solitude et s’était fait un monde à part, dans lequel personne n’avait accès. Le matin, il faisait le tour de son exploitation, seul ou avec le régisseur, et tout le reste de la journée, il le passait dans son cabinet, séparé de sa famille. Le cabinet était un sanctuaire respecté de tous, ma mère elle-même n’y entrait jamais sans frapper ; et quant à nous autres, les enfants, l’idée ne nous serait jamais venue d’y aller sans y être appelés.

Aussi, lorsqu’il arrive à mon institutrice de me dire :

« Va chez ton père te vanter de ce que tu as fait », j’éprouve un véritable désespoir : je pleure, je me cramponne,… mon institutrice reste inflexible, et,