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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/66

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notre vie de campagne.

le temps, de sorte que je vis dans un état de famine chronique, pour ce qui est de la lecture. Et là, sous ma main, j’ai de si grandes richesses !… Comment n’être pas tentée !

Je lutte avec moi-même pendant quelques minutes. Je m’approche d’un livre et me contente de l’ouvrir,… je le feuillette, je lis quelques phrases ; et vite je reprends ma course avec mon ballon, comme si de rien n’était… Mais peu à peu la lecture m’attire : mes premières tentatives ayant été couronnées de succès, je finis par oublier le danger, et je dévore une page après l’autre. Qu’importe ce qui me tombe sous la main ? Si ce n’est pas le premier volume d’un roman, je lis le second, ou le troisième, avec le même intérêt, mon imagination suppléant à ce qui manque. De temps en temps cependant j’ai la précaution de lancer mon ballon, afin que mon institutrice, si elle venait à rentrer, m’entendît jouer conformément à ses ordres.

Ma ruse réussit habituellement. J’entends le pas de mon institutrice dans l’escalier, et j’ai le temps de mettre mon livre de côté ; aussi reste-t-elle persuadée que j’ai passé ma récréation à jouer au ballon, comme une petite fille bien élevée. Deux ou trois fois cependant, je fus prise en flagrant délit, si absorbée par ma lecture, que mon institutrice me parut sortir de terre, sans que rien m’eût avertie de son approche.

En pareil cas — comme en général après chaque faute un peu grave, — mon institutrice recourait au