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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/78

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mon oncle pierre vassiliévitch.

Bert ? disait par exemple l’oncle en s’adressant à ma mère. Ne voilà-t-il pas maintenant qu’il fabrique des frères siamois artificiels ? En joignant ensemble les nerfs de deux lapins, il les fait adhérer. Si l’un des deux est battu, le second souffre. Que dites-vous de cela ? En comprenez-vous toute la portée ? »

Et l’oncle donne à l’assistance un résumé de l’article qu’il vient de lire, l’embellissant, presque sans en avoir conscience, et le complétant par des déductions si hardies dans leurs conséquences, que l’auteur lui-même ne s’en serait sûrement jamais avisé.

Une vive discussion commence. Maman et Aniouta prennent généralement parti pour l’oncle et se montrent pleines d’enthousiasme pour la nouvelle découverte. Mon institutrice, avec l’esprit de contradiction qui la caractérise, prend tout aussi invariablement le parti opposé, et démontre avec vivacité l’inconséquence, quelquefois même le péché, de cette théorie de l’oncle. Le précepteur donne son avis s’il s’agit d’un renseignement sur un fait quelconque, mais évite prudemment toute ingérence dans la discussion elle-même. Quant à mon père, il représente le critique sceptique et moqueur, prenant tour à tour le parti de l’un ou de l’autre pour montrer les côtés faibles dans les deux camps, et les souligner vertement.

Ces discussions prennent parfois un caractère de combativité très prononcé ; fatalement elles font sortir les gens des abstractions pour sauter tout à coup dans le domaine des petites piques personnelles.